Auguste Rousseau (1808-1894), le père des truffes du Ventoux
Publié le 26 Décembre 2017
Le cousin Joseph Talon
Il avait un cousin, Joseph Talon, originaire du hameau de Croagnes à Saint-Saturnin-d’Apt. Celui-ci avait eu le premier l’idée, vers 1814, de semer des glands provenant de chênes truffiers. Quelques années plus tard, les chênes ayant poussé, il récolta ses premières truffes cultivées. Les résultats de ces truffières artificielles étant encourageants, il acheta alors des terres pauvres sur le versant de la montagne qu’il ensemença pour obtenir des récoltes régulières de « melanosporum ». Joseph Talon donna ainsi naissance à une nouvelle méthode de mise en culture qui fut appelée « méthode indirecte ». L’inventeur de la trufficulture moderne popularisa alors son célèbre dicton « si vous voulez des truffes, plantez des glands ». Il allait avoir des disciples.
Auguste Rousseau, un négociant qui devient producteur
Talon ne sembla pas vouloir garder pour lui seul le secret de ses plantations. Le premier à le découvrir fut son cousin Rousseau. On dit que celui-ci l’espionna en cachette pour découvrir sa méthode. Toujours est-il que ce ne fut qu’en 1847, que le cousin Auguste acheta des plans à Joseph. Il avait décidé de vulgariser à grande échelle la méthode de plantation de son cousin. En peu de temps, plus de 7 hectares de truffières, qualifiées d’artificielles, furent plantées à Carpentras. Sa propriété, le domaine du « Pous du Plan », le puits du plan, se trouvait sur la route de Pernes et a été depuis transformée en lotissement. Auguste Rousseau fit le choix de planter des chênes verts, car plus favorables à une production importante. Dans le même temps, Joseph Talon avait fait affaire avec un riche propriétaire de Montagnac, dans les Alpes-de-Haute-Provence, M. Martin-Ravel, qui préféra tester sa méthode sur des chênes à feuilles caduques.
Premier prix de l’exposition universelle de Paris en 1855
Bientôt, la maison Rousseau commercialisa ses truffes jusqu’à Paris. Enfin, la méthode Appert, permettant une bonne conservation, permit au monde entier de découvrir la truffe noire et d'en faire « un complément raffiné des tables soignées de Paris à Londres, de Saint-Petersbourg aux lointaines cités du Nouveau Monde ».
Auguste Rousseau présenta ses truffes à l'exposition universelle de Paris en 1855, et obtient la médaille d’or de première classe, grâce à la « méthode Talon ». Cette première médaille d'or, obtenue pour des truffes qui furent caractérisées comme particulièrement odorantes fut suivie de bien d’autres à Londres, Bruxelles ou Berlin.
Le Périgord s’y mit à son tour et, dans la foulée du Sud-Est, planta des glands de chênes truffiers dans ses causses calcaires. La trufficulture était rentrée dans le domaine de l'agronomie.
Des rendements exceptionnels
En 1857, le comice agricole de Carpentras, chargea une commission de neufs membres d'aller se rendre compte du rendement des plantations d’Auguste Rousseau. Il fut récolté 17 kg de truffes en trois heures. Un an après le marquis des Isnard, de la Société d'Agriculture de Vaucluse, certifia qu’il fut ramassé 25 kg de truffes lors de sa visite. Celui-ci, de son côté, avait tenté de mycorhiser ses pins d'Alep dans le parc de son château du Martinet, près de Carpentras (3). Mais ces truffes avaient une odeur de résine. Il s’agissait de Tuber maculatum qui ne pousse que sur des Pinus strobus L.
Tour de guet pour truffière - Par JPS68 (Travail personnel) [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], via Wikimedia Commons
Ces trésors furent si convoités que certains producteurs de Vaucluse furent obligés de construire des tours de guet pour se protéger des braconniers, ou rabassiers marrons. Jacques Agnel, natif de Croagnes comme Joseph Talon, fut leur terreur en pays d’Apt. Ses nombreuses captures en flagrant délit aboutissaient devant le tribunal d’Apt à des condamnations sévères, cette maraude était considérée comme un véritable vol soumis à la juridiction correctionnelle. Les braconniers agissaient aussi bien en plein jour que de nuit, bravant les coups de fusil du propriétaire des lieux. C’est d’ailleurs en pleine nuit, que descendant de sa tour de guet, Jacques Agnel « sous les rafales d’un vent de tempête, cachant une lanterne sous son manteau, a parfois saisi sur le fait le déprédateur dont il guettait et pressentait la visite ».
En 1866, le ministre de l’Agriculture invitait le préfet de Vaucluse à nommer une commission pour visiter les truffières. Cette commission en visita de nombreuses dans la région du Comtat Venaissin - Mont Ventoux et constata « la présence de grandes quantités de truffes de dimension moyenne, bien saines, d'un bon parfum, en un mot de qualité irréprochable. Cette commission visita aussi l'arrondissement d'Apt où des plantations avaient été faites et où existait un marché important. Dans le Vaucluse, les particuliers qui récoltent la truffe se sont fait des revenus inespérés ; des communes, autrefois pauvres et sans ressources, s'en sont fait un budget prospère ».
Les livres comptables d’Auguste Rousseau ont donné des indications significatives sur les rendements de la nouvelle méthode. Le semis réussi, en 1856, donna une récolte de 8 kilogrammes de truffes par hectare, ce qui, au prix de la truffe à cette époque, 6 francs le kilogramme, représentait un produit de 45 fr par an. Puis Auguste Rousseau obtient une récolte moyenne de 260 kilos annuel sur une superficie de 5 hectares, ce qui éleva le produit à 52 kilos par hectare, et le prix moyen de la truffe ayant atteint 15 francs le kilo sur le marché de Carpentras. « Il en résulte qu’un hectare de mauvais terrain planté d’un taillis de chênes de quinze ans produit annuellement 780 fr. Retranchant de cette somme 10 francs pour le labour, les journées de récolte et la rente du terrain, qui peuvent s’élever ensemble à 25 fr. il reste un produit net de 740 fr. par hectare. Peu de cultures donnent des résultats semblables avec aussi peu de soins ». Les établissements Rousseau, qui, en 1832, n'avait expédié que 9 000 kg de truffes, en livrait en 1866, 54 500 kg. Ils n’étaient pas les seuls puisque les maisons Bonfils, Chauvin et Baudoin, installées aussi à Carpentras, faisaient chacune de leur côté des affaires considérables.
D’autant que les truffes se trouvaient plus abondantes, plus égales et plus parfumées au pied des chênes verts cultivés qu’au pied des chênes sauvages. De plus, les tuber melanosporum se récoltaient toujours au pied des arbres qui en avaient donné les années précédentes. « Ces arbres étaient marqués d’une croix blanche, et la truie chargée de découvrir la truffe se dirigeait immédiatement vers leurs pieds en ouvrant avec son groin un large sillon dans le sol. Le tubercule découvert, on lui donnait un coup sur le nez, et on lui jetait quelques glands ou une pomme de terre pour prix de sa peine ».
La truffe du Périgord ?
Auguste décéda à Carpentras le 30 janvier 1894, à son domicile de la rue Vigne (4). On se doute que sa nouvelle méthode permit une rapide extension des tonnages de truffes récoltées dans les Monts de Vaucluse, le piémont du Mont Ventoux et le Tricastin voisin. Pourtant, le plus souvent ces truffes d’origine provençale étaient commercialisées sur les marchés nationaux et internationaux sous le nom de « truffes du Périgord ». Le neveu et successeur, Adrien Rousseau écrivait en 1898 dans le ‘’Livre d'Or de l'Industrie et du Commerce de Vaucluse’’ :
« Nos truffes se présentent partout sous le nom de truffes du Périgord. C'est de notre part, trop de modestie, car ce n'est qu'une appellation erronée, comme on dit truffes du Dauphiné pour celles du Haut Comtat. C'est pour mieux dire, une appellation de complaisance, une façon de parler empruntée uniquement à une tradition contre laquelle nous avons dédaigné de protester, car le Périgord fait ici, à notre égard, comme Améric Vespuce fit à l'égard de Christophe Colomb concernant l'Amérique. La vérité, est que notre Comtat Venaissin apporte à la consommation universelle sa grande, sa majeure contribution. Les trois quarts des truffes consommées à Paris, par exemple, viennent de nos montagnes comtadines. Et ce que nous disons de la quantité est aussi vrai de la qualité, où nous sommes au premier rang. Nos truffes, d'après Ferry de la Bellone, possèdent une puissance de parfum plus élevée, et partant, plus communicative, et elles sont recherchées précisément pour cette raison qu'il en faut une moindre quantité pour obtenir un résultat équivalent. Aussi, achetées en Comtat Venaissin en pleine connaissance de cause, c'est sous le nom de truffes du Périgord qu'elles sont également vendues. C'est ce qui explique comment la Maison Rousseau située en plein Comtat Venaissin, ne vend, pour se conformer à l'usage traditionnel, ses produits que sous le nom de truffes du Périgord ».
Une explication digne d'intérêt qu’a confirmé, la famille Pécoul, conserveur de truffes de Carpentras, concernant l’appellation truffes du Périgord qu’elle utilisait :
« Le Sud-Ouest par son climat humide et chaud était gros producteur de maïs et de céréales. La région était naturellement productrice de volailles et notamment d’oies et de canards. Le fois gras de canard ou d'oies étaient principalement produits dans cette région, connus et vendus dans le monde entier. Aussi, profitant de la notoriété internationale de cette région, et les foies gras étant parfois truffés, il était plus intéressant et plus facile pour les gros conserveurs du Sud-Est de bénéficier de cette appellation. Ce n’est donc que par facilité que nos conserveurs provençaux ont pris cette marque ». Actuellement cette dénomination est restée tout comme celle de champignon de Paris ou de choux de Bruxelles.
Si aujourd’hui la France produit les 2/3 de la truffe mondiale, elle le doit à Joseph Talon, créateur de la trufficulture. Si la truffe noire (melanosporum) est récolté essentiellement autour du Géant de Provence elle le doit à son cousin Auguste Rousseau. Les chiffres sont implacables : le Sud-Est – avec majoritairement le Vaucluse et le Tricastin - assure 70% de la production française contre 30% pour le Sud-Ouest, le Périgord nʼétant producteur que de 15% de la truffe nationale. Le Comtat Venaissin produit les 2/3 de la truffe de Vaucluse. Cette production s'étale de mi-novembre à mi-mars avec une qualité extrême à partir de Noël. Ses deux grands marchés se trouvent à Richerenches (le plus important d’Europe) et à Carpentras (où se fixent les cours hebdomadaires de la truffe au niveau national).
Notes :
- (1) État civil de la ville de Carpentras, Acte n° 77 de l’an 1808.
- (2) État civil de la ville de Carpentras, Acte n° 59 de l’an 1850
- (3) Ce château du Martinet a donné le cadre à Élisabeth Barbier de sa saga « Les gens de Mogador ».
- (4) État civil de la ville de Carpentras, Acte n° 31 de l’an 1894.